Articles Tagués ‘fugitif’

Ras le bol et plein les oreilles de ces artisans qui font du bruit jusqu’à tard le soir et remettent ça tôt le matin, sous prétexte qu’ils ont une commande urgente : un boulot de charpentier et de forgeron. La charpente, je n’étais pas contre, mais se farcir la stridence de la scie qu’un affûteur peu futé a mal avoyée ; les coups de maillet répétés sur le ciseau à bois émoussé qui ne parvient à trancher d’un seul coup les nœuds à cause du mauvais aiguisage d’un aiguiseur aux sens mal aiguisés, qu’une erreur d’aiguillage a dirigé dans cette voie professionnelle pointue où un manchot n’a pas sa place ; la taille à l’herminette sur laquelle ahane un apprenti aux yeux fous de bourreau… merci bien. Mais c’était de la bluette sonore par rapport au boucan infernal qu’avait produit la masse sur l’enclume, le marteau sur le fer, le fer rougi à blanc qu’un gaillard en sueur plongeait dans l’eau qui frémissait à gros bouillons. Marre de ce tintamarre.
Tout ça pour fabriquer quoi, je vous le pose en mille ? Une croix, je t’en foutrais !
Bon, d’accord, c’était il y a longtemps et aujourd’hui, on est passé à autre chose.

Ras les esgourdes et plein la calebasse de ces exécutions en place publique que les autorités, à défaut d’avoir su organiser un quelconque festival, avaient mises en place pour développer l’activité touristique dans le patelin.
Et ne vous imaginez surtout pas que c’était un truc à trois francs six sous. Non, car les spectateurs en avaient pour leur argent, dont je n’ai d’ailleurs jamais vu la couleur ni entendu le doux tintement, contrairement aux organisateurs qui s’en étaient mis plein les fouilles, vous pouvez me croire, l’archéologie, ça me connaît.
Un fameux week-end, ils avaient fait les choses en grand, les organisateurs, des gentils, pas si gentils que ça. Racisme ou pas, c’est un métèque qu’ils avaient raflé, un maniaque asocial, il paraît. La police l’avait filé, avait guetté ses manies à travers le judas, ses moindres faits et gestes. Pas compliqué de trouver quelque chose de bizarre, donc de répréhensible, dans le comportement de l’individu qui se sait suivi, et qui, se sentant suivi ne peut que répondre à ce qu’on attend de lui : se comporter comme un fugitif. Et qu’est-ce qui amène quelqu’un à être un fugitif, si ce ne sont des choses pas très nettes et autres actes malfaisants qu’il a commis ? Le gars en question, ils l’avaient alpagué pour le juger. Facile, car se sachant coupable, et du pire crime qui soit de lèse majesté, il s’était en quelque sorte constitué prisonnier, façon de se tirer l’épine du pied.
Bon, ça date pas d’hier, comme on disait en Égypte, et Allah merci, dont on ne sait ni de qui, ni de quoi, c’en est fini de ces antiques méthodes de sauvages. Les modernes font mieux et le font de façon si expéditive qu’on ne peut regretter ces temps révolus des révolutions de palais, où des olibrius se couronnaient, sous prétexte qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même.

Affiches, tracts, bouche à oreille et téléphone arabe, la billetterie avait été dévalisée en deux temps trois mouvements. Faut dire que l’affiche putassière à souhait avait été d’une rare éloquence. Question pub, on ne fait pas mieux aujourd’hui, et si Internet et les déambulateurs avaient existé à l’époque, sûr que Gaspard, Balthazar et leur vieux pote Melchior seraient venus assister au spectacle avec d’autres grands de ce monde d’alors.
Ah, la belle époque où les exécutions se déroulaient en place publique !

Dès l’entrée en matière (tableau 1 : « Pris sur le fait », mais quel fait ?), la foule s’était bruyamment et civiquement exprimée : « Salaud, métèque, crapouilleux, crapule, aux chiottes, retourne dans ton pays, sale nègre, nique ta mère ». Au VIe tableau (“flagellation et couronnement d’épines”), la foule s’était déchaînée contre le pauvre hère enchaîné. Au VIIIe tableau, les forces de l’ordre avaient dû contenir des éléments en colère qui huaient violemment un stupide inconscient désireux d’apporter de l’aide au condamné. « Il a rien fait, le bougre », avait-il gueulé. « Mais si, mais si ! » avait éructé la foule avant de lancer à son adresse : « Vendu, sale traître, les cocos au pilori, gougnafier ». Lequel inconscient, selon les autorités, avait été placé en garde à vue. Pour sa protection. 
Le clou du spectacle ? La mise à mort de l’infâme, plus crucifiction que crucifixion. Avec les clous volontairement grossiers, mais habilement forgés pour qu’ils présentassent maintes épineuses échardes aptes à transformer en charpie la chair juteuse des mains du supplicié. Un triomphe, une exultation, une liesse joyeuse auquel le tohu-bohu vite calmé de quelques agitateurs réfractaires au bon ordre ne fit rien. Les grandes douleurs qu’éprouvent les condamnés émoustillent ceux qui ne le sont pas : rapidement ils taisent leur silence coupable pour se laisser aller à la joie d’être du bon côté, celui des juges, du bon droit et de la côte d’agneau aux flageolets ou du couscous royal. Quel vacarme, quelle clameur, qu’un son et lumière hors pair joint à des effets spéciaux dantesques avaient fait redoubler d’éclat. Bref, un joyeux bordel.
Avec l’épisode pleureuses (XIIe et XIIIe tableau), je n’avais échappé à l’infarctus que grâce à des boules Quiès habilement manufacturées à base de cire d’abeille, promptement introduites dans la bouche des mère, maîtresse et comparses du supplicié. Si les décibels avaient certes baissé d’un ton, je n’avais pas pour autant réussi à renouer avec le silence auquel tout un chacun a le droit pendant le week-end.
Et si, pris d’une volonté expiatoire, il avait pris au condamné la fâcheuse idée de prolonger son agonie, ou, résultat similaire, si un des bourreaux, par taquinerie, s’était ingénié à ne porter aucun coup fatal dans l’instant ? Horreur !

Cette aventure m’avait tué. Aussi, et les pouvoirs en place n’ayant nullement l’intention de perdre les subsides qu’occasionnaient ce type de spectacles, j’avais décidé de passer, désormais, mes longs week-ends dans un coin tranquille de ce qui deviendrait, beaucoup plus tard, le département de la Loire, où avec Ponce, un romain, ami de longue date, qui possèdait une villa sur les pentes du crêt de la Perdrix (un coin d’où il tire son patronyme), nous pensions élaborer un projet touristique autrement intéressant. Comme moi, il ne supportait pas plus le vacarme des ouvriers, les piaillements de la foule excitée et les cris des suppliciés, cependant moins que le fait de ne toucher aucun subside lié au spectacle des exécutions. Pour le lieu, on avait pensé aux Balkans, ses vastes plateaux, ses étés torides, la tenue exemplaire des autochtones qui ne braillent ni n’applaudissent à tout va et à tout rompre, notamment le silence. Ou quelque part du côté de l’Égypte, de la Libye ou de la Syrie, régions cependant moins boisées, ce qui en faisait un deuxième choix, bref, autre chose que la Palestine, pays de braillards indisciplinés. 
Les années 90 et celles qui suivraient nous paraissant comme étant promesses d’excellents crus, nous avions topé là.

Je le dis tout net : j’en ai ras le bol et plein les oreilles de ces artisans qui font du bruit jusqu’à tard le soir et remettent ça tôt le matin, sous prétexte qu’ils ont une commande urgente. Un boulot de charpentier et de forgeron. La charpente, je suis pas contre, mais se farcir la stridence de la scie qu’un affûteur pas futé a mal avoyée ; les coups de maillet répétés sur un ciseau à bois infoutu de trancher d’un coup les nœuds à cause du mauvais aiguisage d’un aiguiseur aux sens mal aiguisés, qu’une erreur d’aiguillage a dirigé dans cette voie professionnelle pointue où un manchot n’a pas sa place ; la taille à l’herminette sur laquelle ahane un apprenti aux yeux fous de bourreau… merci bien. Mais c’est de la bluette sonore par rapport au boucan infernal que produit la masse sur l’enclume, le marteau sur le fer, le fer rougi à blanc qu’un gaillard en sueur plonge dans l’eau qui frémit à gros bouillons. Marre de ce tintamarre.
Tout ça pour fabriquer quoi, je vous le pose en mille ? Une croix, je t’en foutrais !

Et j’en ai aussi ras les esgourdes et plein la calebasse de ces exécutions en place publique que les autorités, à défaut d’avoir su organiser un quelconque festival, ont mises en place pour développer culture et tourisme dans le patelin. 
 Et ne vous imaginez surtout pas que c’est un truc à trois francs six sous. Non, car les spectateurs en ont pour leur argent, dont je n’ai d’ailleurs jamais vu la couleur ni entendu le doux tintement, contrairement aux organisateurs qui s’en mettent plein les fouilles, que c’en est une honte, vous pouvez me croire. 
Ce week-end, ils ont fait les choses en grand, les organisateurs, des pas vraiment gentils. Racisme ou pas, c’est un métèque qu’ils ont raflé, un maniaque associal, il paraît. La police l’a filé, a guetté ses manies, ses moindres faits et gestes. Pas compliqué de trouver quelque chose de bizarre, donc de répréhensible, dans le comportement de l’individu qui se sait suivi, et qui, se sentant suivi ne peut que répondre à ce qu’on attend de lui : se comporter comme un fugitif. Et qu’est-ce qui amène quelqu’un à être un fugitif, si ce n’est des choses pas très nettes et autres actes malfaisants qu’il a commis ?
Affiches, tracts, bouche à oreille et téléphone arabe, la billetterie a été dévalisée en deux temps trois mouvements. Faut dire que l’affiche putassière à souhait était d’une rare éloquence.

Dès l’entrée en matière (tableau 1 : “Pris sur le fait”, mais quel fait ?), la foule s’est bruyamment et civiquement exprimée : « Salaud, métèque, crapouilleux, crapule, aux chiottes, retourne dans ton pays, sale nègre ». Au VIe tableau (“flagellation et couronnement d’épines”), la foule a explosé d’une joie malsaine ou de larmes bruyantes. Au VIIIe tableau, les forces de l’ordre ont dû contenir des éléments en colère qui huaient violemment un inconscient désireux d’apporter de l’aide au condamné : « vendu, sale traître, les suppôts du Christ au pilori, gougnafier ». Lequel inconscient aurait été placé en garde à vue. Pour sa protection, on voudrait bien le croire.
 le clou du spectacle ? Ben voyons : la mise en croix du malfaisant, plus crucifiction que crucifixion. Avec les clous volontairement grossiers, mais habilement forgés pour qu’ils présentent maintes habiles échardes aptes à transformer en charpie la chair juteuse des mains du supplicié. Un moment fort où les trompettes de la justice ont hélas été couvertes par un vacarme tohu-bohubuesque. Les grandes douleurs qu’éprouvent les condamnés en émoustillent certains parmi ceux qui ne le sont pas, leur silence coupable se muant vite fait en hurlements de fauves couvrant leurs agissements. Entre les hourras des uns et les lamentations des autres, quel vacarme, quelle clameur, qu’un son et lumière hors pair joint à des effets spéciaux dantesques ont fait redoubler d’éclat. Une surdose de tintamarre dont j’ai marre, doublement marre, plus que marre, définitivement marre.
 Avec l’épisode pleureuses –professionnelles et authentiques réellement éplorées– (XIIe et XIIIe tableau), je n’ai échappé à l’infarctus que grâce à des boules Quiès promptement introduites au plus profond de la bouche des premières, réservant ma compassion et quelques maladroites paroles de consolation aux mère, maîtresse et comparses du supplicié. Si les décibels ont certes baissé d’un ton, je n’ai pas pour autant réussi à renouer avec le silence auquel tout un chacun a le droit pendant le week-end.
Dieu merci, encore heureux que le condamné n’ait pas eu la mauvaise idée de prolonger son agonie.

Journées de merde. Et les pouvoirs en place autant que les grands prêtres n’ayant nullement l’intention de se priver des recettes confortables de ces spectacles… expéditifs, il va me falloir partir m’installer ailleurs si je veux renouer avec des week-ends paisibles, somme toute légitimes, en un lieu où la haine fait moins de bruit.
L’Europe centrale, avec ses vastes et calmes plaines, la douceur de ses étés, la tenue exemplaire des autochtones disciplinés qui ne braillent ni n’applaudissent à tout va et à tout rompre ? Non, j’y renonce, à cause de lointains bruits de bottes qui me font horreur.  Quoi d’autre alors ?
Paupières closes et mappemonde à portée de main, je la parcours de l’index, puis stoppe sa course. Ce sera là, décidè-je en ouvrant les yeux. Mon doigt indique un coin de la Narbonnaise tandis que l’ongle plus précis s’est patiquement planté sur une montagne qui, y regardant de plus près, s’avère être le pech du Bugarach. Le Bugarach dont Ponce, un ami romain de longue date, m’avait parlé. J’y possède une villa, avec Claudia, mon épouse, une fille du coin, m’avait-il dit. Je l’ai faite construire au cas où… Tu viens quand tu veux. Ponce qui, comme moi, ne supporte plus le vacarme tonitruant des masses ouvrières et artisanales, ni les piaillements d’une foule en liesse ou gémissements des affligés et encore moins les cris des suppliciés ; pas plus qu’il n’accepte le fait de ne toucher aucun des subsides que rapporte le spectacle des exécutions qui, au demeurant, ont fini par le lasser.

C’est décidé : l’Aude, son Bugarach, Rhedae et les sommets enneigés environnants vont bientôt me voir planter mes pénates sur ces terres paisibles où un grand dessein de siestard impénitent m’attend. La sieste, il n’y a rien de mieux pour méditer et prier.